Doc. PhDr. Ladislava Milièková, CSc.
Ústav romanistiky
Filozofická fakulta Masarykovy univerzity
La place de la stylistique dans la linguistique
française contemporaine
Postavení stylistiky v souèasné francouzské
lingvistice
Mots-clés: Stylistique littéraire, Stylistique linguistique, Analyse du style, Dichotomie pensée X langue, Stylistique fonctionnelle, Stylistique structuraliste, L´objet de la stylistique, Rhétorique, Poétique, Norme collective / Écart individuel, Choix linguistique, Linguistique textuelle
Annotation: Du point de vue historique, la stylistique est très étroitement
liée à la rhétorique. Selon Molinié, cette orientation exemplairement
illustrée de nos jours dans les travaux de J.-C. Anscombre, est solidaire des
recherches actuelles en pragmatique, soit qu’on essaie de scruter les procédés
argumentatifs et efficients dus à la prononciation fictionnelle de
paroles à l’intérieur d’un univers donné, soit qu’on tente de mesurer la
portée culturelle des productions littéraires considérés comme actes de langage
particuliers. Ces deux dernières interrogations font partie intégrale de
toute stylistique moderne.
Il est vrai que dans la linguistique française
il existe peu de notions qui se heurtent à tant de difficultés de
définition, que les termes «stylistique» et «style».
Du point de vue de la vie des
sciences, on pouvait croire que la stylistique était morte en France dans les
années 60 et 70. Même si ce terme continuait à figurer dans
certains travaux et cours universitaires, les grandes encyclopédies, générales
ou spécifiques, restaient souvent muettes sur ce chapitre, et ce n’est que
depuis des années 80 qu’on peut remarquer en France le regain d’intérêt pour
le style et la stylistique, ou plutôt pour une stylistique. On ouvre de
nombreux discussions aussi bien controverses que polémiques s’efforçant
d’établir la place de la stylistique dans la linguistique.
Aujourd’hui, on mène des débats autour de la stylistique
ayant pour but de distinguer stylistique linguistique et stylistique
littéraire. Ces débats se poursuivent en France depuis des années 90.
Anotace:
Z historického hlediska je
za základ stylistiky považována rétorika, jejímž zakladatelem byl Aristoteles.
Rétorika mìla pøedevším „pøesvìdèovací“ úkol, tzn. že hlavním úkolem mluvèího
(nebo øeèníka) bylo pøimìt posluchaèe, aby si mysleli nebo dìlali to, co
pùvodnì nemìli vùbec v úmyslu.
V 19. století se pod Humboldtovým a Steinthalovým vlivem
stala stylistika souèástí lingvistické antropologie. Koncem století se ve
Francii vyvíjí dvìma smìry: první usiloval o zdokonalení individuálního
psaného stylu, druhý – komparativní – se zamìøoval na srovnání charakteru
národního jazyka a s jazyky ostatními. Oba smìry se nakonec spojily
v díle Ch. Ballyho.
V 60. a 70. letech minulého století byla ve francouzské
lingvistice stylistika zatlaèena do pozadí a lingvisté jí vìnovali jen
okrajovou pozornost. Proto je dnes ve francouzské lingvistice jen málo pojmù,
jejichž definice by narážely na takové potíže jako definice obsahu pojmù
„stylistika“ a „styl“. Ten se ostatnì v prùbìhu vývoje nìkolikrát dosti
podstatnì mìnil. Teprve v 80. letech se obnovuje zájem o stylistiku a lingvisté
se snaží zodpovìdìt pøedevším dvì otázky zásadního významu: „Co je vlastnì
stylistika?“ a „Jaký je hlavní cíl stylistiky?“
Pod pojmem „stylistika“ se
dnes ve Francii chápe jednak aplikace jazykových znalostí a postupù na ústní
nebo písemnou produkci, kterou souhrnnì nazýváme „texty“, i když se jedná
o produkci ústní. Lze øíci, že tento smìr stylistiky – lingvistická
stylistika (stylistique linguistique neboli stylistique
de langue) – klade dùraz na dichotomii kolektivní
norma / individuální odchylky a tím pøibližuje stylistiku spíše sociolingvistice
(tento vìdní obor se však více zajímá o zkoumání jednotlivých rovin jazyka a
jejich odlišností typu geografického, sociálního, atd.). Dnes stále tìsnìji
spolupracuje s textovou lingvistikou.
V centru pozornosti
druhého smìru stylistiky – literární stylistiky (stylistique littéraire) – stojí texty, které teorie literatury
nazývá „žánry“, a specifika umìleckého výrazu jednotlivých autorù. Ten je dán
výbìrem jazykových jednotek, bohatstvím slovní zásoby, délkou vìt, strukturou
souvìtí a dalšími, vesmìs jazykovými charakteristickými znaky. Stylistika se
tak stává místem, kde se literatura dostává do velmi úzkého kontaktu
s lingvistikou; je to dáno tím, že pro literaturu je jazyk pøirozeným
prostøedkem a nástrojem.
La place de la stylistique
dans la linguistique française contemporaine
Du
point de vue historique, la stylistique est très étroitement liée
à la rhétorique. A ses origines on trouve Aristote, et avant tout ses
deux œuvres d’importance primordiale La
Rhétorique et La Poétique. En ce
qui concerne la rhétorique, on en voit le rôle principal dans l’art de
persuader. Un locuteur (ou un orateur) entraîne ses auditeurs à faire ou
à penser ce qu’ils n’ont a priori aucune raison ou aucune envie de faire
ni de penser. On arrive ainsi à isoler trois grands types
d’éloquence, selon qu’on veut persuader sur le vrai ou le faux, le juste ou
injuste, utile (honorable) ou dommageable (déshonorant).[1] A côté des
pratiques oratoires Aristote explore notamment les lieux, analysables pour les
linguistes modernes comme figures macrostructurales de second niveau, qui sont
des modèles logico-discursifs propres à nourrir les stratégies
argumentatives. Selon Molinié, cette orientation exemplairement illustrée de
nos jours dans les travaux de J.-C. Anscombre, est solidaire des recherches
actuelles en pragmatique, soit qu’on essaie de scruter les procédés
argumentatifs et efficients dus à la prononciation fictionnelle de
paroles à l’intérieur d’un univers donné, soit qu’on tente de mesurer la
portée culturelle des productions littéraires considérés comme actes de langage
particuliers.[2] Ces deux
dernières interrogations font partie intégrale de toute stylistique
moderne.
Il est vrai que dans la linguistique
française il existe peu de notions qui se heurtent à tant de
difficultés de définition, que les termes «stylistique» et «style».
Du point de vue de la vie des sciences, on pouvait croire
que la stylistique était morte en France dans les années 60 et 70. Même
si ce terme continuait à figurer dans certains travaux et cours
universitaires, les grandes encyclopédies, générales ou spécifiques, restaient
souvent muettes sur ce chapitre, et ce n’est que depuis des années 80 qu’on
peut remarquer en France le regain d’intérêt pour le style et la
stylistique, ou plutôt pour une stylistique. On ouvre de nombreux discussions
aussi bien controverses que polémiques s’efforçant d’établir la place de la
stylistique dans la linguistique. On s’efforce à répondre
à deux questions de l’importance primordiale: «Qu’est-ce que
la stylistique ?» et «A quoi sert la stylistique?» Nous voudrions essayer
de donner quelques aperçus du débat qu’on mène recemment dans la
lingustique française dans le domaine de la stylistique.
Dans la linguistique française la
tradition stylistique remonte à Marouzeau, Cressot et puis en amont fait référence à
Bally. Selon Cressot[3] toute
extériorisation de la pensée qu’elle se fasse par la parole ou au moyen de
l’écriture (c’est-à-dire la communication) n’est pas dans la plupart des
cas un processus purement objectif ou intellectuel, mais le locuteur y ajoute
aussi le désir d’impressionner le destinataire. Cela veut dire qu’il
opère un choix des procédés divers dont il dispose dans la langue, et
qui relèvent du domaine linguistique (morphologie, syntaxe, ordre des
mots, lexicologie, etc.), psychologique et social. Sa tâche est de faire ce
choix dans tous les compartiments de la langue en vue d’assurer à sa
communication le maximum d’efficacité. Pour Marouzeau le style est
« l’attitude que prend l’usager, écrivant ou parlant, vis-à-vis du
matériel que la langue lui fournit»,[4] pour le
linguiste allemand Leo Spitzer, « la mise en œuvre méthodique des
éléments fournis par la langue ».[5] Dans un
de ses ouvrages postérieurs établit Spitzer le principes de son analyse du
style:
1o La critique est immanente à
l’œuvre.
2o Toute œuvre est un tout.
3o Tout détail doit nous permettre de pénétrer
au centre de l’œuvre.
4o On pénètre dans l’œuvre par une
intuition.
5o L’œuvre ainsi reconstruite est intégrée
dans un ensemble.
6o Cette étude est stylistique, elle prend son
point de départ dans un trait de langue.
7o Le trait caractéristique est une déviation
stylistique individuelle.
8o La stylistique doit être une critique
de sympathie. [6]
Dans les ouvrages de Cressot et de
ses successeurs portant sur le domaine de la stylistique on peut remarquer
l’importance toujours croissante qu’on attribue à la grammaire dans le
commentaire stylistique, au détriment du lexique (qui est d’importance
primordiale chez Bally). Pour Marouzeau la stylistique recouvre «tout le
domaine de la langue et un exposé de stylistique peut être conçu en
fonction des divisions traditionnelles de la grammaire: phonétique,
morphologie, lexicographie, syntaxe, structure de l’énoncé».[7]
La définition de Bally reposant sur
le structuralisme de Saussure donne à entendre que la stylistique a pour
champ d’observation le domaine entier de la langue, mais qu’elle conserve son
activité propre et ne se confond avec aucune autre partie de l’étude du
langage. Selon Bally, la stylistique a pour but d’isoler et d’identifier les
faits d’expression, entendus dans leur
caractère « affectif », et de les analyser. Cette analyse
implique une théorie du langage et une théorie de la stylistique. La stylistique
a pour objet essentiel le langage affectif, spontané, tel qu’il est saisissable
dans des groupes idiolectaux, et non pas le caractère individuel propre
au langage de l’œuvre littéraire.
«Définition de la stylistique: elle
étudie la valeur affective des faits du langage organisé, et l’action
réciproque des faits expressifs qui concourent à former le
système des moyens d’expression d’une langue. La stylistique peut
être, en principe, générale, collective ou individuelle, mais l’étude ne
peut présentement se fonder que sur le langage d’un groupe social organisé;
elle doit commencer par la langue maternelle et le langage parlé. Cependant les
langues modernes du type ,européen’ portent le marque d’une mentalité commune,
qui permet de faire sans trop de danger une comparaison entre ces différentes
langues au point de vue stylistique. La stylistique peut, en principe,
s’attacher à l’étude d’une langue morte ou d’un état de langage qui
n’existe plus; mais en aucun cas elle ne peut être une science
historique; la cause en est que les faits de langage ne sont faits
d’expression, que dans la relation réciproque et simultanée qui existe entre
eux.»[8]
La spécificité de Bally est donc grande et
ouvre la voie à ce que seraient des stylistiques comparées de langue
à langue. L’originalité de Bally consiste à avoir fondé l’étude
du caractère de la langue dans ses manifestations discursives et
à avoir appelé cette entreprise «stylistique». Sa conception suppose un
degré zéro d’expression, par rapport auquel les segments occurrents constituent
un écart, que le stylisticien doit décrire et mesurer. Ce qu’on reproche
aujourd’hui à Bally c’est d’avoir exclu du domaine de la
stylistique la langue écrite et surtout la langue littéraire, car, selon
Bally, «la langue écrite ne peut donc faire découvrir les véritables
caractères d’une langue vivante; car, par son essence même elle
est en dehors des conditions de la vie réelle; elle ne peut non plus donner
l’image authentique d’un état de langue, puisque, par nécessité et par
privilège, elle vit à la fois dans le passé, le présent et
l’avenir, et, que le même auteur, dans une même page, peut
être en avance ou en retard sur l’évolution de la langue parlée. Il ne
s’ensuit pas que la langue écrite doive rester en dehors de l’étude stylistique;
elle y joue même un rôle fort utile dès qu’elle est étudiée en fonction de la langue parlée. Alors
elle apparaît sous son véritable jour, éclairée qu’elle est par la seule langue
digne de ce nom, dont elle est une transposition et une déformation.»[9] Bally ne
considère non plus que même un texte écrit est un acte de
communication intégré dans un contexte historique et social particulier et se
refuse à admettre que le lecteur puisse assumer un pareil rôle dans la
langue écrite que l’auditeur dans le domaine de la langue parlée. «Celui qui
écrit se voit privé de tous les moyens d’explication que le langage vivante lui
fournirait: l’intonation expressive et la mimique, qui sont pour celui qui
parle un commentaire perpétuel de ses paroles.»[10]
En plus, dans le domaine de la langue
littéraire l’auteur fait selon Bally un emploi volontaire et conscient,
c’est-à-dire qu’il emploie la langue avec une intention esthétique. «Or,
cette intention qui est presque toujours celle de l’artiste, n’est presque
jamais celle du sujet qui parle spontanément sa langue maternelle. Cela suffit
pour séparer à jamais le style et la stylistique».[11]
Au
début du dernier siècle c’est la «psychologie nouvelle»[12] qui a
considérablement influencé la stylistique. Un de ses principaux représentants Van
Ginneken fait de la linguistique psychologique une
«thèse sur le sentiment» et lui donne pour objectif principal de montrer
en permanence dans la langue «une signification de sentiment».[13] Cette
idée a été encore approfondie chez Sechehaye qui parle de l’opposition entre
une composante affective primitive ou «sentiment» et une composante
intellectuelle ou «adhésion». Certains ouvrages de Bally reflètent
également cette psychologisation excessive du champ stylistique.[14] Dans
son ouvrage Le mécanisme de
l’expressivité linguistique,
tributaire à la psychologie nouvelle, Bally souligne l’affectivité qu’il
définit comme la «manifestation naturelle et spontanée des formes subjectives
de notre pensée» et le langage affectif ou expressif comme un langage «associé
à une émotion».[15] La
distinction entre procédés formels et moyens d’expression[16]
a permis à Bally de mettre en place le rapport pensée X langue, accessoire plus indispensable, aujourd’hui encore,
que ne le prétend la stylistique contemporaine.
Tandis que, avec Bally c’était
le lexique qui occupait, presque exclusivement, le champ de la stylistique,
dans les années trente c’est la grammaire qui fait une entrée rapide et
indiscutable en stylistique. La stylistique est alors devenue, comme le caractérise
Karabétian « une discipline de la confrontation du fond et de la forme,
chargée de conduire, par l’interprétation du vêtement (forme) du texte,
à une congruence avec les intentions de fond. De cette dialectique, la
stylistique ne se départira même lorsque, d’un tour de passe passe, il
sera décrété que l’on ne va pas du fond vers la forme mais de la forme vers le
fond ».[17]
La stylistique fonctionnelle
sortant des théories de l’Ecole de Prague, est assez proche de la théorie des
niveaux de langue, auxquelles le locuteur peut recourir suivant la situation
énonciative et la connaissance des conditions d’énonciation. On peut y
remarquer une relation assez étroite entre les méthodes de la stylistique
traditionnelle et la rhétorique d’un côté et la sociolingustique traitant les
niveaux de langue de l’autre côté.
C’est
surtout à Jakobson que revient le mérite d’avoir replacé,
parallèlement à Bally, la stylistique au croisement de la
littérature et de la linguistique, c’est-à-dire l’intersection d’un
ensemble précis (les textes littéraires) et d’un corps de concepts et de
méthodes particulièrement élaborés (la linguistique structurale).
Dès lors il n’est plus de stylistique que structurale. Molinié
caractérise cette pratique de manière suivante:
«Cette
pratique, souvent qualifiée par ses artisans de poétique, se meut sur deux axes. L’un définit le cadre
hermeneutique. L’objet de la poétique est, justement d’étudier les conditions
de la fonction poétique du langage, à l’opposé des conditions des autres
fonctions. Cette fonction a pour visée le message lui-même et se
caractérise, selon la célèbre formule de Jakobson, par le fait qu’elle
,projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la
combinaison’. La réalité objectale à étudier est justiciable de toutes
les approches linguistiques existantes, selon les diverses branches de
l’évolution de cette science (de la lexicologie à la syntaxe et à
la sémantique). Le second axe concerne la nature de l’objet envisagé. Celui-ci
est constitué conventionellement, comme un ensemble quelconque a priori
considéré en un tout: un vers, un poème, un œuvre entier, un genre…
Chaque tout ainsi défini est saisissable exclusivement dans la somme des
relations mutuelles, d’ordre strictement langagier, qui se jouent à
l’intérieur de l’ensemble donné, chaque élément n’étant constitué que de ses
rapports avec les autres, le tout et les parties n’ayant de sens, donc
existence, que dans cette intrication. Telle est la naure de la structure.»[18]
Dans
cette lignée se situe le groupe de linguistes que Molinié appelle les
structuralistes français. Une des premières places dans ce courant est
à Michael Riffaterre, un des plus grands représentants de la stylistique
structuraliste.[19]
Riffaterre attribue la place plus importante à la langue écrite,
littéraire, car selon lui «les styles individuels parlés sont au mieux
difficiles à décrire, facilement stéréotypés et de ce fait moins
différenciés les uns des autres et du langage standard que ne le sont les styles
écrits. Les styles littéraires sont complexes, mais précisément pour cette
raison possèdent des traits qui permettent une nette différenciation».[20]
Sous
la notion du style comprend Riffaterre «un soulignement (emphasis) – expressif, affectif ou
esthétique – ajouté à l’information transmise par la structure
linguistique, sans altération de sens».[21] Selon
lui, les effets stylistiques ne se réalisent pas à l’aide de moyens
linguistiques en soi, mais seulement après leur insertion dans un
certain contexte, où l’opposition entre l’apparition d’un nouvel élément
lingusitique et le contexte donné peut être exprimée par des moyens
morphosyntaxiques, syntaxiques et lexicaux.
Certains
structuralistes français ont développé leurs recherches par le biais de la
sémiotique, p.ex. Greimas, en sémantique, qui a interprété la structure
profonde, abstraite des modèles essentiels de récits, avec leur
cortège d’actants et leurs algorithmes de transformations.
Aujourd’hui,
on mène des débats autour de la stylistique ayant pour but de distinguer
stylistique linguistique et stylistique littéraire. Ces débats se poursuivent
en France depuis des annés 90.
D’après
Boisson la stylistique est «l’application des connaissances et des techniques
de la linguistique aux productions orales ou écrites, qu’on appelle en général
,textes’, même s’il s’agit de l’oral, pour déterminer en quoi tient leur
spécificité».[22]
Dans cette mesure, la stylistique peut rapprocher à la
sociolinguistique. Or, tandis que la sociolingustique s’intéresse plus aux
variétés de langue géographiques, sociales, etc., la «propre» stylistique
s’intéresse, selon Boisson, plus aux variétés de textes qui ressortissent
à ce qu’on appellerait le «genre» en théorie de la littérature, et aux
spécificité du style de chaque auteur.
La
linguistique française tend aujourd’hui dans la pratique à comprendre
par «stylistique» l’étude des textes dits «littéraires». Naturellement il se
pose des questions quels types de textes on peut inclure dans la
littérature ; il s’agit p. ex. des «pop songs» ou des textes
publicitaires, qui se trouvent à la limite de la littérature, mais on ne
peut pas dénier à ces textes certaines propriétés littéraires.
Une phrase peut être
prononcée ou écrite, c’est-à-dire énoncée dans des conditions dont la
prise en compte intervient dans la compréhension de la phrase. Selon Boisson,
il peut s’agir des intentions du locuteur, de celles dont on suppose qu’elles
sont connues de l’interlocuteur ou lecteur, de divers
présupposées «idéologiques», de conventions sociales. Il est clair par exemple, qu’on ne saurait
comprendre quelque chose comme l’ironie si l’on se contente d’examiner le texte
en soi sans se référer aux conditions d’énonciation dans lesquelles il est
proféré.
Depuis 1990 la question de la
stylistique a été souvent confrontée à celle de l’esthétique, surtout
par des linguistes américains.
Un débat ininterrompu sur le
problème de la stylistique s’est ouvert en France de 1993 à
aujourd’hui. Karabétian rappelle dans ce sens Jenny, qui, en sortant de
l’ouvrage de Fiction et diction de Genette[23]
distingue dans son article L’objet
singulier de la stylistique[24] trois voies de retour à la
stylistique. La première voie empruntée par Molinié consiste à
moderniser la description stylistique en composant entre la tradition
rhétorique et les instruments linguistiques modernes; l’autre, suivie par
Genette, poursuit la «sémiotisation du style» ; la troisième,
dont les représentants sont Combe et Jenny, cherche à repenser le style
comme « parole originaire » , c’est-à-dire comme
« relance dans la parole d’une activité de différenciation interne
à la langue » ; le style est alors conçu comme une
« dialectique de la langue et de la parole.»
En ce qui concerne Molinié, il caractérise le
champ de la stylistique comme «inventaire de tous les postes possibles
d’observation stylistique »,[25]
où l’unité stylistique de base est le mot – la lexie. D’un côté on peut
se concentrer sur l’étude de la forme sonore (volume, variations, apparitions),
de l’autre côté sur celle du signifié, qui, à son tour se décompose en
noyau dénotatif et en connotation. Selon Molinié, il est possible d’analyser la
dénotation en sèmes. Le tout de valeur ajouté que représentent les
connotations s’évalue selon des axes axiologiques (mélioratif / péjoratif), selon
des appréciations de niveau socio-culturel (familier, neutre, recherché) et
selon les registres des domaines du monde auxquels renvoie occuremment la
lexie. Toutes ces déterminations n’ont de portée que contextuelles. La question
essentielle que pose le lexique au stylisticien est de savoir s’il existe une
valeur caractérisante du lexique.
A propos du mode de la
caractérisation, Molinié dit : «Fonctionne comme caractérisant, dans un
message, tout ce qui n’est pas strictement nécessaire à sa complétude
syntaxique et informative. Ne posent aucun problème le caractérisants
spécifiques, ni les actualisations de surface considérées dans leur rôle
caractérisant. Les marques en sont soit des morphèmes isolables et non
séparables (comme les désinences temporelles-modales), soit des
morphèmes isolables et séparables
(des adverbes), soit des syntagmes, soit des configurations
syntaxico-rhétoriques séparables. En tout état de cause, ce sont autant de
supports de la valeur caractérisante.»[26] Comme
plus délicat considère Molinié le jeu des procédures de l’actualisation
fondamentale, dans les occurrences textuelles de leurs manipulations
profondes : modalité énonciative, récit et/ou discours, niveau des réseaux
de production et de réception des messages. Il rappelle également qu’il n’est
pas toujours évident de bien isoler l’ensemble des caractérisants généraux:
extension sonore, modification lexicale, figure, ordre des éléments, formes de
phrases, ton, etc., en soulignant qu’aucune détermination langagière ne
possède de statut de caractérisant à portée fixe, mais qu’au
contraire elles ont toutes une valeur variable selon les époques et les
genres.
En 1997 c’est Schaeffer qui rouvre
le débat sur la question de la stylistique littéraire et indique qu’en
supprimant l’opposition entre la stylistique littéraire et la stylistique de
langue et en mettant en jeu la dichotomie norme
collective / écart individuel, la stylistique « relève d’un
pragmatique du discours ». En effet, tout énoncé «implique des choix qu’on
opère parmi les disponibilités de la langue et tout choix lingusitique est signifiant,
donc stylistiquement pertinent. Dans ce sens Schaeffer renoue avec la formule
de Genette selon laquelle « tout texte a du style ».[27]
Une question importante se pose
visant de savoir quel rôle joue la stylistique aujourd’hui vis-à-vis la
linguistique textuelle. Bernard Combettes[28] s’est
fixé l’objectif d’examiner si la stylistique – un domaine si hétérogène
– pourrait tirer quelques bénéfices en prenant en compte certains concepts et
certaines observations de la linguistique textuelle. En ce qui concerne le
problème clé, Combettes le voit dans la possibilité de saisir comment
fonctionne le codage des structures textuelles et quel est le rôle du
système linguistique propre à chaque langue dans cette opération.
L’hypothèse posée par Combettes est qu’il y aurait un «style cognitif»
propre non seulement à chaque langue, mais aussi et surtout à
chaque type de texte.
Selon Adam[29] la
linguistique textuelle joue aujourd’hui un rôle de plus en plus important dans
l’analyse stylistique dans ce sens, qu’on commence, à travers les
recherches de la linguistique du texte, à mieux percevoir
l’articulation des trois composantes: langue, texte, processus cognitifs. Il
avoue que de nombreux travaux seront encore nécessaires pour qu’on arrive
à préciser la part respective de chacune de ces composantes dans les
activités de production et de réception des textes, mais il admet que l’étude
du style, qu’il s’agisse du style de la langue ou de la langue du style, ne
peut éviter de traiter de cette problématique, car c’est bien de l’emploi de la
langue qu’il s´agit.
Bibliographie:
J.M.Adam, Le style dans la langue, Delachaux/Nestlé, Lausanne-Paris,1997
Ch. Bally, Le langage et la vie, Droz, Genève, 1965
Ch. Bally, Précis de stylistique, Eggimann, Genève, 1905
Ch. Bally, Traité de stylistique française, 2 vol., Klincksieck, Genève-Paris, 1951
M. Cressot-Laurence James, Le style et ses techniques, PUF,
Encyclopaedia Universalis, t.21, Paris, 1992, pp. 705 – 707
G. Genette, Fiction et diction, Seuil, Paris, 1991
Langue Française, no135, septembre 2002, Larousse/VUEF
Lexikon des romanistischen Linguistik, Band V,1, Max Niemayer Verlag, Tübingen, 1990
J. Marouzeau, Introduction au Traité de stylistique latine, Les Belles Lettres, Paris,1946
M. Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Flammarion, Paris, 1971
Bibliografický údaj: MILIÈKOVÁ, L. La place de la
stylistique dans la linguistique française contemporaine. Pøijato do tisku v
Études Romanes de Brno pro rok 2005.
[1] Voir Encyclopaedia Universalis, t. 21, p. 705
[2] G. Molinié, Stylistique, Encyclopaedia Universalis, t. 21, p. 705
[3] M. Cressot. L. James, Le style et ses techniques, p. 15
[4] J. Marouzeau, Introduction au Traité de stylistique latine, p. 14
[5] L. Spitzer, 1948, cité par Lexikon der romanistischen Linguistik, Band V,1, p. 158
[6] L. Spitzer, ibid.,
[7] J. Marouzeau, Introduction au Traité de stylistique latine, p. 13
[8] Ch. Bally, Traité de stylistique française, vol. 1, 1
[9] Ch. Bally, Le langage et la vie, p. 71
[10] Ibid,, p.69
[11] Ch. Bally, Précis de stylistique, p.11 - 13
[12] La psychologie nouvelle à dominante expérimentale est une discipline distincte de la psychologie philosophique du XIXesiècle. Elle se manifeste p.ex. dans l’œuvre de J. Van Ginneken qui met en place et conduit la stylistique à devenir le miroir et le révélateur de l’affectivité de l’écrivain se traduisant dans sa langue. Van Ginneken fait de la linguistique psychologique une «thèse sur le sentiment» et lui donne pour objectif principal de montrer en permanence dans la langue «une signification de sentiment».
[13] J.J.Van Ginneken (1907) cité par E.S. Karabétian in Langue Française, 135, septembre 2002, p.
[14] Voir L’étude systématique des
moyens d’expression (1910), Le mécanisme de l’expressivité linguistique (1926),
[15] Op.cit. p. 75
[16] Cf. Ch. Bally, Traité de
stylistique française
[17] Cf. E.S. Karabétian, Histoire des stylistiques, pp.164-166
[18] G. Molinié, Stylistique, Encyclopaedia Universalis, t. 21, p. 705
[19] Parmi ses ouvrages les plus importants citons Essais de stylistique structurale (1971) et La Production du texte (1979)
[20] M. Riffaterre, Essais de stylistique structurale, p.32
[21] Ibid., p. 30
[22] Voir http:/www.fabula, Boisson, Cours de stylistique, 1989/1990, p. 1
[23] G. Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991
[24] In: Littérature no89, pp. 113-124
[25] G. Molinié, Stylistique, Encyclopaedia Universalis, t. 21, p. 707
[26] G. Molinié, Stylistique, Encyclopaedia Universalis, t. 21, p. 707
[27] Schaeffer cité par Karabétian in Langue française, no 125, 2002
[28] B. Combettes, Analyse
linguistique des textes et stylistique, in Langue Française, no 135, pp. 95 - 112
[29] Voir J.-M. Adam, Le style dans la langue,